Sophie Helene - "Pierres secrètes"

Rien ne s’échappe de notre planète

Au pied de la falaise et dans la "laisse de mer" de la baie de Somme, Sophie Helene puise la matière première de ses œuvres faites de débris naturels et de déchets liés aux activités humaines qu’elle transpose dans une grande variété de réalisations plastiques.

Ses collections rassemblent des silex ou des fossiles de 80 millions d’années qui se mêlent à des déchets de quelques dizaines d’années, tels les plastiques usagés provenant de la pêche sous forme de gants, de mousses, de bouées, de filets, de bouteilles plastiques et les débris de constructions comme le goudron ou la brique.

L’ensemble constitue un vocabulaire étendu de formes qui alimentent de riches collections de matières. C’est à l’occasion de marches collectives au bord de la plage que Sophie Helene, d’abord coloriste, partage ses pratiques et ses découvertes qu’elle poursuit par des ateliers où l’observation se marie à la manipulation et s’articule à un fin travail d’assemblage.
Les éléments sont ainsi combinés en petites compositions ou sous forme d’installations murales ou spatiales où le fragment se perd et réapparaît par l’effet de la multiplication, laissant imaginer l’ampleur de la dissémination. Il s’agit ici de cartouches plastiques de fusils réunies en un vaste nuancier coloré d’une inépuisable variété, d’opercules d’aluminium alimentaires devenant les écailles d’un drapé monumental ou de flotteurs de pêche reliés à des pierres trouées, des morceaux de tubes plastiques et des graines qui se muent en colliers votifs dédiés à la sauvegarde des écosystèmes du monde.

Son approche s’appuie d’abord sur la richesse intrinsèque des matières trouvées et leur capacité de transposition lors des temps de création. Mais elle ne peut se résumer à cette seule entrée, car son art est sans conteste mué par la détresse de voir les milieux naturels abîmés par les incessants phénomènes de pollution.

Sensible à l’hybridation continue qui s’opère à grande échelle entre ce qui relève du naturel et du synthétique, Sophie Helene poursuit ce phénomène d’une toute autre manière dans sa dernière série des "Pierres Secrètes". Cet ensemble d’objets, qu’elle intitula aussi neo geodes, l’a amenée à se déplacer en 2020 en Auvergne pour opérer un processus de pétrification naturel sur un choix de matériaux collectés sur le littoral afin de créer de véritables cailloux.

Ainsi figés dans un écrin de pierre, les déchets ordinaires permettent une confrontation entre les valeurs de naturalité, de pureté et d’éternité de la pierre et nos détritus, symboles de notre société de progrès et de consommation, qui interrogent notre empreinte sur terre à l’ère de l’anthropocène.

Tous ces déchets, aujourd’hui pétrifiés, ont en commun d’avoir voyagé à la surface de la planète, d’avoir parfois parcouru des milliers de kilomètres au gré des courants marins. L’artiste a identifié que certains d’entre eux proviennent de la côte est des États-Unis et nous rappellent avec une pertinence sans faille que rien ne s’échappe de notre planète.
Qu’elles apparaissent fermées, identiques à des galets naturels recouverts d’une profonde couche de calcite scintillante, ou qu’elles soient ouvertes comme des fruits mûrs découvrant la pluralité des rebus de notre histoire humaine, ces pierres mutantes n’ont rien de stigmatisant ou de culpabilisant. Elles sont à l’inverse des objets de "réconciliation" dont Michael Rosenzweig a initié le concept afin de favoriser la biodiversité dans les milieux anthropiques. En témoigne la présence de minuscules crustacés ayant élu domicile au sein d’agglomérats de cordages appelés les Dolly ropes. Plus encore, par la qualité d’observation qu’ils suscitent chez nous, ces galets renouent avec l’art des pierres de lettrés qui consistaient - dès le 4ème siècle en Chine - à sélectionner des pierres rappelant des paysages miniatures dédiés à la contemplation en devenant une source d’inspiration poétique.

Prolongeant cette expérience contemplative, Sophie Helene présente en parallèle "Sine Creta", une installation suspendue constituée d’environ 250 cailloux multimillénaires ramassés au pied de la falaise d’Ault, au sud de la Baie de Somme. Cette falaise de craie, de silex et de marcassites (nodules de sulfure de fer qui impriment des coulées brunes dans la craie) se situe à deux pas du Vimeu, un petit bassin industriel spécialisé dans les savoir-faire du métal relatifs à la fonderie, au décolletage, au traitement de surface des métaux... L’oeuvre est un hommage à la beauté du site naturel dont elle a emprunté des silex démoulés de leur écrin de craie qui les a protégés jusqu’à l’effondrement. L’artiste a sélectionné certains sujets qui ont été recouverts d’une fine couche brillante de cuivre obtenue par un procédé de métallisation en écho aux compétences techniques de la région.

S’inscrivant dans le sillage des réflexions initiées par Bruno Latour, considérant que ce sont les vivants eux-mêmes qui par leurs interactions, créent et maintiennent les conditions de vies sur terre, Sophie Helene réalise des œuvres engagées où le naturel s’articule de façon tangible à l’artificiel, mimant ce qui se joue déjà à l’échelle de la planète. Il n’est plus possible de s’abstraire de la nature remisée depuis le néolithique à l’arrière-plan. L’air, les océans, les glaciers, le climat, les sols, tout ce que nous avons rendu instable, interagit désormais avec nous.

Puissent ces œuvres apporter une nouvelle étape dans la conscience que nous aurons de ces bouleversements en cours et faire évoluer nos habitudes de pensées.
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Sophie Helene, Pierres secrètes ou néo-géodes, 2021. Noyaux de matériaux divers collectés dans la "laisse de mer" à Ault (Baie de Somme) et pétrifiés dans le calcaire aux fontaines pétrifiante de Saint-Nectaire